La photo a toujours fait partie de ma vie.
On démarre ce blog, par une petite interview que j’ai réalisée avec Agnes Carpentier, Journaliste Deco, dont voici l’extrait de notre longue conversation.
Photographe d’intérieur et de décoration, voici bien un métier qui fait rêver ! Derrière les photos de beaux intérieurs qui font les unes sur papier glacé et starifient les architectes et décorateurs, au rythme de leurs abonnés Instagram, il y a l’œil de lynx du photographe, sa signature créative et ses heures de travail rigoureux. Mathieu Fiol qui œuvre depuis une dizaine d’années à tirer la quintessence des lieux qu’il photographie et à mettre en valeur ceux qui les ont conçus, a délaissé son trépied pour nous dévoiler les coulisses de son travail passionnant.
Bonjour Mathieu, tu es photographe d’intérieur depuis 10 ans.
Comment t’es-tu orienté vers cette profession ?
Ma grand-mère était photographe professionnelle et ma mère ne faisait pas une sortie familiale sans emporter son appareil photo. J’ai donc été initié très jeune à cet art et j’aimerais également transmettre cet héritage précieux à ma fille. C’est ma mère qui m’a offert mon premier appareil, un Nikon argentique FM1. C’est avec lui que j’ai fait mes premiers essais, en jouant avec les optiques que nous avions à la maison.
Comment t’es-tu formé ?
J’ai d’abord eu un bac général à Majorque où j’ai grandi, puis j’ai souhaité me spécialiser en passant un bac pro photographie. Ensuite, je me suis installé à Barcelone pour faire une école supérieure de photographie. J’ai goûté à deux approches totalement différentes puisque le bac pro était centré sur la technique argentique en noir et blanc. J’ai développé mon œil artistique, appris l’art de développer dans le noir et de faire des agrandissements à l’ancienne. Mon école, au contraire, était basée sur l’apprentissage de la photo numérique et la création de visuels 3D. C’est là que j’ai appris toutes les bases techniques qui m’ont aidé à me professionnaliser et me servent encore tous les jours.
Quels sont tes sources d’inspiration ?
Marc Goodwin, photographe anglais qui s’est fait connaître pour son travail de photographie des studios d’architectes célèbres partout dans le monde, a été mon professeur et le référent de mon mémoire de fin d’études. Un jour, il m’a envoyé pendant 8 h devant un bâtiment célèbre de Barcelone avec pour consigne de prendre une photo par heure afin d’éprouver physiquement le changement de lumière sur la façade, de prendre le temps de trouver le meilleur point de vue aussi. Cet exercice a fait naître une passion et m’a donné envie de m’orienter durablement vers la photographie d’architecture et d’intérieur. J’apprécie aussi particulièrement le travail de Robert Doisneau et celui du photographe de paysages Ansel Adams, deux ténors de la photo en noir&blanc. J’adore aussi Helmut Newton, Jeanloup Sieff ou encore Guy Bourdin. En architecture, on ne peut oublier l’iconique Julius Shulman.
As-tu travaillé tout de suite en tant que photographe d’intérieur ?
Non, je suis parti habiter au Mexique pendant plusieurs années avec mon épouse qui est Mexicaine et j’ai d’abord exercé comme photographe de mariages. Là-bas, le mariage sur la plage, organisé par un wedding planner avec la présence d’un photographe est une vraie institution. C’était un créneau lucratif qui m’a appris à travailler vite et à tirer profit de l’instant pour mettre le mieux en valeur possible mes clients. Puis avec ma femme, nous nous sommes installés à Paris, où j’ai commencé par travailler dans la photographie immobilière pour des agences haut de gamme. À côté, j’ai mené des projets personnels, comme la photo de danse ou de voyage, pour me perfectionner. Une dizaine d’années d’expérience avant de pouvoir accéder au milieu très fermé de la photographie d’intérieur.
Qui sont tes clients ?
Je dois ma montée en grade au décorateur Gérard Faivre, que je remercie de m’avoir fait confiance sur la durée. Depuis, je travaille essentiellement pour des architectes d’intérieur et décorateurs, et parfois, pour des particuliers ou des directeurs d’hôtels-restaurants. J’ai par exemple eu la chance de couvrir l’ouverture de l’Hôtel Lutetia à Paris. Le plus souvent, sur une demie-journée ou une journée, mon travail consiste à capturer toute sortes de plans, des vues d’ensemble et plus serrées, afin que mes clients puissent communiquer et valoriser leur travail sur leurs sites Internet, leurs réseaux et à travers des articles de presse. En particulier, pour les architectes d’intérieur et décorateurs, le but est de magnifier les espaces au moment-clef, soit à la fin de leur prestation d’aménagement et avant que le lieu ne soit réellement habité. Je peux être également amené à réaliser des photos de suivis de chantier ou des reportages du lieu en situation, avec les portraits des propriétaires.
Qu’apprécies-tu dans la photo d’intérieur ?
J’aime l’idée de transmettre l’endroit de manière quasi-documentaire et de le mettre en valeur en trouvant le meilleur point de vue, tout en maîtrisant parfaitement ces aspects techniques. Le meilleur compliment que l’on puisse me faire, c’est d’avoir réussi à surprendre mon client par un cadrage original, alors qu’en général c’est lui-même qui a conçu le lieu. La photo d’intérieur ne semble pas des plus créatives au premier abord mais elle permet pourtant de développer une signature
Pourquoi de nombreux pros se passent-ils encore des services d’un photographe ?
Très souvent pour une question de tarifs, alors que le budget photo sera vite rentabilisé par les retombées presse que des clichés de qualité vont générer. Mon tarif comprend des plans larges de chaque espace, des plans plus serrés en format portrait et également la cession de droits, qui permet au professionnel de l’aménagement de donner l’autorisation à un magazine de publier les clichés sans frais supplémentaires. Je me charge aussi de la partie stylisme pour les clients qui ont besoin de conseils sur l’optimisation visuelle de leur espace, car j’ai une vraie appétence pour le design et une bonne connaissance des intérieurs qui plaisent et des tendances déco.
Pourquoi conseilles-tu de faire appel à un photographe pro ?
Des photographies de qualité professionnelle sont incontournables pour tout architecte ou décorateur qui aspire à rejoindre le cénacle des pros les plus en vue et monter en gamme. D’autant que même un bon amateur aura du mal à photographier un intérieur avec une qualité professionnelle, car la photographie d’intérieur est de celles qui demandent le plus de technique. Les cadrages doivent être parfaits, les lignes bien alignées, ce qui requiert un trépied et plusieurs objectifs. La difficile gestion de la lumière en intérieur est un autre incontournable. Elle doit être précise pour que les couleurs très sombres transmettent des informations et que les zones lumineuses ne soient pas brûlées. Les amateurs qui s’y sont essayés y passent souvent des heures pour un résultat aléatoire, tandis que lorsque tu fais appel à un photographe, ton portefeuille de projets a une qualité constante, une signature visuelle reconnaissable.
Mathieu, pour finir, quelles sont selon toi les trois qualités primordiales d’un bon photographe d’intérieur ?
Outre la disponibilité et la ponctualité, je dirais l’écoute et l’empathie en premier, car j’accorde de l’importance à commencer un rendez-vous en écoutant précisément les désirs de mon client et en me montrant attentif à ses idées. Lors d’une séance photo, j’apprécie la liberté créative et que mon œil fasse son travail de recherche mais j’apprécie également que l’on me challenge en me demandant un cadrage auquel je n’aurais pas forcément pensé d’emblée, plutôt que l’on me guide à chacun de mes clichés. D’une contrainte peut parfois découler la photo phare du shooting. J’apprécie beaucoup de travailler à quatre mains.
La recherche de la perfection est selon moi une autre qualité indispensable. Il est important d’investir dans du bon matériel et respecter des règles techniques précises pour qu’une photo ne soit pas un produit de consommation rapide mais quelque chose de durable, qui va marquer l’œil. Cela peut sembler paradoxal à l’époque des réseaux où l’on fait une consommation boulimique de photos, mais c’est précisément dans ce contexte qu’il faut d’autant plus soigner ses clichés.
Enfin, je mettrais l’accent sur l’importance de la postproduction. Une fois la photo prise, il reste beaucoup de travail. Il n’est pas rare de ne garder qu’un dixième des photos prises lors du shooting et les élues doivent être retouchées pour délivrer tout leur potentiel. Pour ma part, je travaille sous Lightroom et Photoshop. C’est à ce moment-clef, souvent méconnu du grand public, que le photographe ajoute un supplément d’âme à la photo, qu’il choisit des cadrages particuliers ou imprime sa signature colorimétrique, éléments reconnaissables qui aident une photo à devenir inoubliable et un pro à subtilement se démarquer.